La révolution du corps et de l'esprit ; de la force et de la souplesse
Ce que le yoga m'a appris des arts martiaux et vice-versa. Ce que ma pratique sportive m'a appris de mon psychisme et réciproquement.
La première fois que j’ai entendu parler d’harmonie entre la force et la souplesse, c’était en étudiant la philosophie du Vovinam Viet-Vo-Dao. Cependant, ce mantra, érigé en programme durant mes premières années de pratique, a mis du temps à intégrer ma manière de penser mes gestes.
Quand on entreprend une activité d’éducation physique, on apprend à savoir comment son corps fonctionne. A ses débuts, il n’est pas rare de s’attribuer des facilités d’entrée : on est soit fort, soit souple, mais on n’est pas toujours les deux à la fois. On encline parfois vers une variante plutôt qu’une autre.
Le parti pris dans l’apprentissage du Vovinam est de développer la force, et notamment la force en précision, lorsque l’on débute. Il nous est appris qu’à force de répéter le même mouvement, il devient plus fluide. La force d’exécution développe ensuite la vitesse, qui conduira à une forme de souplesse, de gain d’amplitude dans l’exécution du mouvement. Un coup de pied ne montera pas plus haut pour atteindre la tête de l’adversaire si le bassin n’a pas appris à être sollicité dans l’alignement le plus confortable, celui qui sied à notre morphologie et à notre mémoire corporelle. La montée progressive en charge d’effort vient avec l’aisance qui s’acquiert au fur et à mesure.
De manière assez intéressante, l’approche est inverse en yoga, et c’est en cela que je considère les deux disciplines comme parfaitement complémentaires l’une à l’autre. L’idée reçue la plus fréquente en yoga concerne la souplesse. Combien de fois me suis-je confrontée à des amis hésitants à venir pratiquer avec moi car ils disaient manquer de souplesse ! Car ce n’est pas faux, la pratique du yoga est plus “statique” que celle d’un art martial, plus lente, et travaille en profondeur le développement des amplitudes et des écarts de mobilité dans les articulations. Il y a, cependant, une limite à ce terrain de jeu, et à moins d’être naturellement pourvu d’un corps de contorsionniste, on comprend au fur et à mesure que le meilleur allié au gain de souplesse est la force. Sans contrôle des muscles, le corps ne bouge pas et ne va pas plus loin qu’il ne le peut spontanément.
Prendre conscience de la complémentarité entre force et souplesse, c’est trouver le juste équilibre pour se tracer une voie pour aller plus loin. D’ailleurs, le yoga comme les arts martiaux figurent ce jeu d’équilibre en termes d’opposition yang / yin, qui convoque alors, par association d’idées, plusieurs paires d’opposition et de jeux de complémentarité, qui fonctionnent autant comme un couteau suisse pour toutes les situations du quotidien.
L’application des leçons du corps sur le mental, le Vovinam le théorise dans les termes d’une théorie philosophique : la “révolution du corps et de l’esprit”, (Cách Mạng Tâm Thân en vietnamien, tel que formulé par le maître Tran Huy Phong)..
Le terme de “révolution” peut s’entendre de plusieurs façons : il se comprend comme une épiphanie, un souffle de nouveauté, comme dans son sens étymologique de mouvement circulaire, comme le figure la fameuse roue du yin et du yang, ou l’un devient l’autre et vice-versa.
Être fort consiste en l’activation de forces intérieures : l’endurance, la tolérance à la douleur, savoir porter une charge. Sur le plan physique, la force se travaille en luttant contre soi-même, à dépasser peu à peu les limites qu’on s’était donné. Sur le plan psychique, rien n’est bien différent : il s’agit de se montrer capable d’agir contre soi-même, en faisant fi de la petite voix flemmarde qui nous crie de retourner en zone de confort.
Être souple, c’est plutôt selon moi la capacité d’adaptation aux forces extérieures, à ce que l’on ne contrôle pas. C’est aller chercher la solution la plus viable et la plus compatible aux obstacles qui se présentent face à nous : un espace s’est créé, une fenêtre s’est ouverte ? Je vais la chercher avec ce que j’ai sous la main et de mieux employable sur le moment.
A mes yeux, yoga et arts martiaux se combinent en ce que ces activités participent à un développement psychocorporel toutes les deux. Le tapis de yoga, comme le tatami de Vovinam, sont des safe place : des laboratoires de pratique qui nous renseignent sur ce que nous éprouvons lorsque notre corps bouge, sans (presque) rien risquer en termes de danger. On y développe des stratégies de mouvement pour qu’elles finissent, petit à petit, à devenir des réflexes de défense dans notre vie et dans le monde. On cultive des compétences qui nous rendent mieux tolérant aux obstacles, et plus flexible face aux accidents et à l’adversité.